En résidence à Forbach depuis quelques mois, j’ai cherché à construire ici aussi, un bosquet d’arbres de Deux-Mains avec un groupe de jeunes lycéennes et lycéens. Ce sont eux, ces jeunes arbres, qui auront à gérer ce monde à venir qu’il y a peu on nous promettait nouveau. Pour les nourrir, comme dans la nature, ils leur fallaient des racines. Au fil des séjours, les mains anonymes de quelques compagnons d’Emmaüs, d’habitantes et d'habitants des quartiers du Wiesberg, de Stirin-Wendel ou de Bellevue ont tissé des réseaux inextricables de fils et de ficelles, mains de femmes ou bien d’hommes, mains de grand-mères, mains marquées par la vie, mains venues d’ici ou bien d’ailleurs. Ne restait plus, pour ces racines, qu’à faire passer ce savoir nécessaire à l’enrichissement de ces jeunes pousses. Pour les nourrir des différentes mémoires de la communauté, pour qu’ils grandissent, qu’ils soient plus fort des milles histoires qui font une ville.

Ceux que l'on aide à grandir

Il est maintenant grand temps de remonter le temps ...

Nous traversons collectivement un épisode si inhabituel dans nos pays développés qu'il va rester encore longtemps un sentiment d'angoisse, de peur. Cette période, qui s'inscrit dans une suite de dénis, sur les questions liées à l'environnement, sur les questions de société ... a ébranlé la société toute entière et d'autant plus notre jeunesse. Comment ne pas laisser nos jeunes dans cet état de sidération ?

 

Ce qui nous constitue, regarde …

On est arrivé là, on s’est installé là. Des enfants sont nés, ont grandi. À leur tour ils ont eu des enfants. Ils ont posé des questions, on a répondu tant bien que mal. On a raconté l’histoire, un peu beaucoup … ou pas du tout. On s’est trompé, on a mélangé les dates ou les lieux. On a oublié ou on ne sait pas. La mémoire s’efface au fil des ans et l’histoire ne se transmet que par bribes.
Il n’empêche. Nous sommes fait d’histoires individuelles et collectives. Histoires que nous avons dues affronter ou qui nous ont portées, encouragées. Les souvenirs de ceux que nous avons croisés, que nous avons aimés, se sont accumulés dans une boîte que certains après-midi on a étalés sur la table. Chaque vieille photographie, chaque objet s’est alors mis à évoquer un jour, un lieu, un membre de la famille. Le visage d’un grand-père ou le paysage autour d’une maison et c’est le goût d’un fruit, l’odeur de terre qui ressurgit. Mais les souvenirs s’emmêlent facilement, on se perd, difficile de tout remettre dans l’ordre, de tisser correctement l’histoire de la famille. Sans compter qu’il y a toujours deux ou trois souvenirs plus rugueux, plus piquants, plus noirs qu’il ne fait pas bon réveiller. Petit à petit les enfants ont appris. On a tant bien que mal essayé de transmettre en espérant que tout cela les aura aidés, les aura faits grandir.

Pour qu’ils soient plus forts, pour qu’ils sachent ce que fût la vie des mères, des pères, partis d’ici, arrivés là.

 

Olivier Pasqui

ers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"