DAHBI ADNI


Dahbi fils de Omar fils de Jilali
du douar Ouled Abdallah
tribu des Alil Rhaba
dans la région de El Kelaa des Srahna
fellah
fils de fellah
moutons et chèvres
dans la montagne
isolée
bêche la terre
apprend le Coran
à l'école du village
et s'engage
le 29 avril 1944
se dit qu'il n'y a pas
de meilleur travail
et tant pis pour la mort
s'engage
tout seul de son village
descend à Marrakech
Régiment de Tirailleur Marocain
et tout de suite c'est
l'entraînement
section de combat
on les prépare
comme renforts
pour la guerre allemande
jusqu'au départ
Marseille en avion U.S
puis Belfort par le chemin de fer
front d'Alasace
où il est reversé
brancardier
au 4ème Régiment de Tirailleur Marocain
droit sur l'Allemagne
durs combats
et ce jour
19 avril 1945
où sortant de son trou
il ne se souvient plus du nom
pour aller chercher un camarade blessé
il se retrouve
lui et son groupe
face à des chars blindés allemands
sale blessure à la cuisse gauche
croit qu'il va y rester
quand les allemands
arrivent
croient qu'ils vont
en finir
mais non
Vous ètes marocains
on ne vous tue pas
alors s'enfuit comme il peut
retrouve les français
hôpital
Lons-le-Saunier
puis Guebwiller
convalescence à Nice
et le grand général
Delattre de Tassigny
qui vient le saluer
et dit :
Il faut continuer,
il y a encore une guerre,
l'Indochine mais d'abord
il repart en Allemagne
armée d'occupation
à Kiel
jusqu'en 1949
cette fois c'est vraiment
l'Indochine
Centre-Anam
Tonkin
des mois et des mois
à renforcer les postes
et retour au Maroc
il est caporal
une permission enfin
quatre mois
il rentre au village
dix huit mois
en poste à Essaouira
et un deuxième séjour
en Indochine
caporal chef
un groupe de quatre
sous son commandement
fusils mitrailleurs
embuscades et accrochages
puis la maladie
hôpital sur place
puis l'armistice
mars 1954
retour au Maroc
soldat français
il veut le rester
malgré l'Indépendance
ce sera Lyon
Bourg-en-Bresse
tous les noms
où il passe
il est sergent
jusqu'en 1959
il quitte l'armée
on peut tirer un trait
quinze ans et six mois
Croix de guerre
citations
médaille militaire
et aujourd'hui encore
100 euros de pension
y compris
les 2 euros 45
pour la croix de guerre
pas grand chose
pour prendre en charge
la femme
cinq fois marié
si on compte bien
et les enfants
deux sont militaires
comme lui
dans l'armée marocaine
pourtant il sait
qu'avec tout ce qu'il a fait
il devrait bien avoir droit
à quelque chose
vient en France le réclamer
en 1985
on lui dit de rentrez chez lui
qu'il n'a rien à faire là
insiste
et l'aide d'une dame
de Bordeaux
qui fait monter son dossier
juqu'au ministère
mais quand il faut plaider
pas d'argent pour revenir
alors ça traîne
on enquête chez lui
ce qu'il gagne
comment il vit
quand il apprend
que les anciens combattants
marocains
peuvent au moins avoir droit
à une pension de vieillesse
Dahbi fils de Omar fils de Jilali
part
à près de quatre-vingt ans
quitte une fois encore la famille
le village
bien obligé
puisqu'il n'y arrive pas
quitte la misère
la valise
le sac
comme quand il était soldat
Bordeaux
Beauvais
le RMI
la pension de vieillesse
c'est mieux que rien
même si c'est rien
au regard
de ce que les
quinze ans et six mois
de service
devraient procurer à
Dahbi fils de Omar fils de Jilali
mais qu'espérer
de mieux ?
ce sera comme ça
aller
venir
rentrer
repartir
et quand il faut
la barette de décorations
dont les couleurs se fanent un peu
pour montrer
qui on est
ce qu'on a fait
qui vaut beaucoup mieux
que les sept mètres carrés de la chambre
du foyer
où il n'y a rien à faire
les courses
la prière
comme si on était en prison
rien à faire sinon penser à là-bas
en espérant que là-bas
on pense à lui
qu'ils se souviennent
Omar
Abdelhakim
Abdelfattah
Abdelaziz
Youssef
Abdelkhalid
Fatima
Mohammed
Youness
Noura
Ilham
Abdelilah
Abdenaime
fils
et filles de
Dahbi fils de Omar fils de Jilali
qu'ils se souviennent
et qu'ils racontent à leurs enfants
ce que fut
sa dure vie
d'homme
de soldat
de leur père.

 

Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"