ABDELKADER OUAHED
    Abdelkader fils de Miloud fils d'Hammou
    du douar Beni Augrin
    dans la région d'El Kelaa des Sraghna
    partit à Marrakech
    trop jeune
    pour s'engager
    mais d'un coup de crayon
    on change l'âge
    on l'envoie à N'Kheila
    10ème Goum
    entrainement jour et nuit
    pendant quatre mois
    et envoyé en Indochine
    fin 1951
    troque la djelaba des goumiers
    pour le treillis règlementaire
    Saïgon
    Lai Chau
    opérations pendant trois mois
    sans jamais trouver l'ennemi
    après c'est par avion
    jusqu'à Nic Lau
    dans les montagnes
    à pied
    sac à dos
    pendant des jours et des jours
    attaques
    contre-attaques
    chacun défend sa peau
    on s'aide, se protège
    on partage la gamelle et l'inquiétude
    mais quand ça éclate de partout
    c'est chacun sa peau
    quand c'est fini
    on compte les morts
    les blessés
    on les remplace
    un Français pour un Français
    un Marocain pour un Marocain
    on continue
    une nuit par surprise
    les Viet-Minhs
    les submergent
    commandant et capitaine prisonniers
    beaucoup de pertes
    mais Abdelkader fils de Miloud fils d'Hammou
    s'échappe
    avec un petit groupe
    guidé par une adjudant français
    la forêt
    se perdent
    sept goumiers
    quatre artilleurs
    des supplétifs "chinois"
    cinq jours
    à manger de l'herbe
    tourner en rond
    l'adjudant perd courage
    chaque jour ils sont un de moins
    il reste seul avec les supplétifs "chinois"
    qui disparaissent dans un village
    tués peut être
    ou l'ayant abandonné
    seul
    marche
    mange ce qu'il trouve
    mains en l'air quand il rencontre
    des soldats Viet-Minhs
    prisonnier
    on lui donne du riz
    dans un village on le regoupe
    avec d'autres prisonniers français
    des paras
    marchent attachés pendant un mois
    le jour ou la nuit
    jusqu'à un camp de prisonnier
    trois cent soixante prisonniers
    moustiques
    saleté
    une couverture pour deux
    obligé de manger du proc
    tous les jours
    de nouveaux prisonniers arrivent
    pourquoi vous vous vous engagez
    avec la France
    au lieu de rester dans votre pays ?
    demandent les "chinois"
    il ne sait pas
    dit qu'il ne sait pas
    il est là, c'est tout
    on sépare les Arabes des Français
    on les envoie dans la forêt
    travaux de construction
    bâtiments pour les prisonniers
    corvées
    sept mois comme ça
    dispersés par petits groupes
    dans la forêt
    et un jour
    on les libère
    à condition qu'ils retournent
    chez eux
    les Arabes sont libérés
    confiés à la croix rouge
    ramenés à Saïgon
    malades
    affamés
    soignés
    et retour au Maroc
    tous les anciens prisonniers
    au camp de Skhirat
    près de Rabat
    puis permission
    pendant un mois
    et à nouveau le Goum
    le 35ème à Ouarzazate
    pendant deux ans
    puis l'Algérie
    dans la région de Batna
    à chasser les fellaghas
    puis en 1956
    à l'Indépendance du Maroc
    Abdelkader fils de Miloud fils d'Hammou
    continue soldat dans l'Armée royale
    vingt et un ans d'armée marocaine
    dont deux ans de guerre
    au Sahara
    qui viennent s'ajouter
    aux quatre ans et sept mois
    dans l'armée française
    dont sept mois
    prisonnier
    en 1977
    il revient chez lui
    à El Kelaa des Shragna
    déjà cinq enfants
    trois autres vont suivre
    vie de rien
    "en autarcie"
    qu'est-ce qu'il a dans la poche
    à l'âge où on est vieux ?
    presque rien
    pas de quoi vivre
    pas de quoi faire vivre
    la femme
    les enfants
    alors qu'il apprend
    qu'avec la carte du combattant
    on peut venir en France
    et recevoir une pension
    il n'hésite pas
    part
    une fois encore quitte les siens
    Bordeaux
    Beauvais
    le foyer
    et tous les jours
    cette obligation qu'il se fait
    de courir
    dans la cité
    comme il l'a toujours fait
    un terrain vague
    il est tout seul
    ne pense à rien
    tout le corps se trouve bien
    manière de se sentir vivant
    seul mais vivant
    ici c'est bien !
    et finalement, cette pension
    c'est comme une reconnaissance
    pour tout ce qu'il a fait
    pour son pays
    pour les siens
    et tant pis si ce doit être
    comme ça
    jusqu'à la fin de ses jours
    aller
    venir
    rentrer
    partir
    mais que ceci soit écrit
    pour que
    Fatima
    Rachid
    Hamid
    Touria
    Jamila
    Redouane
    Othmane
    Ghizlane
    fils et filles de
    Abdelkader ben Miloud ben Hammou
    sachent ce que fut
    sa dure vie d'homme
    et de soldat.
Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"
