MOHAMED WAZIF
    Mohamed fils de Lahcen fils de Hamani
    au douar Ait Si Nouh
    Sahrij el Kelaa
    comme son père avant lui
    répondit
    aux appels des recruteurs
    passant dans la village
    comme son père
    soldat
    guerre de France
    guerre d'Allemagne
    comme son père
    chacun son tour
    Mohamed fils de Lahcen fils de Hamani
    s'engagea
    10ème Goum chérifien
    à Marrakech
    le 1er août 1944
    et à peine formé
    "désigné pour le maintien
    de l'ordre en Algérie"
    quelques mois de police
    c'est pas encore la guerre
    puis retour au Maroc
    30ème Goum
    54ème Goum
    "libéré sur sa demande"
    en avril 1951
    "se retire"
    dans son village
    mais pas longtemps
    un an à peine
    il est de retour
    et cette fois
    c'est l'Indochine
    la mer
    Haiphong
    débarqué le 16 novembre 1952
    et aussitôt les combats
    20ème Goum du 2ème Tabor marocain
    la fierté d'être goumier
    des vaillants
    des guerriers
    et lui
    Mohamed fils de Lahcen fils de Hamani
    "goumier courageux"
    dit le rapport qui le cite
    à l'ordre de la Brigade
    lorsque à Tsa Ye Pin
    il est blessé d'éclats de mortier
    à la hanche
    et rapatrié
    29 octobre 1953
    médaille commémorative
    de la campagne d'Indochine
    pas ça qui remplit les poches
    alors se réengage
    goumier encore
    d'un bout à l'autre du pays
    il aime bien ce métier là
    près de quinze ans
    il l'aura fait
    s'arrête juste avant
    et retourne au village
    travail de fellah
    au jour le jour
    pour nourrir la famille
    les enfants
    vie dure
    vaut encore mieux
    être soldat
    ou partir
    quand l'occasion se présente
    quand il apprend
    que les anciens combattants
    ont droit à quelque chose
    s'ils viennent
    le chercher en France
    alors part
    à plus de quatre-vints ans
    quitte famille et village
    quitte la misère
    sinon il ne serait pas parti
    la valise
    le sac
    comme quand il était soldat
    Bordeaux
    Beauvais
    ce n'est pas une pension
    une reconnaissance malgré tout
    même si désormais
    ce sera toujours
    aller venir
    rentrer partir
    de la maison du village
    aux sept mètres carrés de la chambre
    du foyer
    de la famille la femme les enfants
    à la solitude
    pas vraiment des copains
    ces autres vieux comme lui
    pas comme si c'était
    les camarades d'autrefois
    ce sera ainsi
    jusqu'à la fin de ses jours
    et que ce soit au moins écrit
    pour qu'ils se souviennent
    Mohamed
    Abdallah
    Salah
    Omar
    Farida
    Khadouj
    fils
    et filles de
    Mohamed fils de Lahcen fils de Hamani
    qu'ils se souviennent
    et racontent à leurs enfants
    ce que fut
    la dure vie d'homme
    de leur père
    "goumier courageux"
    de l'armée française.
Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"
