DAIF EL MAMOUN
    El Mamoun fils de Mohamed fils de Mekki
    né et vivant au douar Oulad Attmane
    dans la province de El Kalea-des-Straghna
    s'engagea
    le 1er juin 1940
    à Marrakech
    au 48ème Goum
    du 8ème Tabor marocain
    quitta le hameau familial
    les quelques bêtes
    le peu de terre
    s'engagea pour deux ans
    puisqu'il n'y avait pas d'autre moyen
    de se nourrir et nourrir la famille
    garda les frontières du Maroc
    protectorat français
    gouvernement de Vichy
    se réengagea
    un an
    débarquement allié
    puis un an
    armée de la France Libre
    puis un an
    et un an
    et un an
    et de Casablanca
    fut envoyé en Indochine
    via Marseille
    la mer
    des jours de mer
    débarqué à Haïphong
    le 30 décembre 1948
    sur la "zone des opérations"
    nommé Maoum Aoul (caporal-chef)
    Lang Son
    la frontière chinoise
    puis le pays Meo
    nommé Moqqadem (sergent)
    Sou Lah
    Ben Chien
    Ton Kaï
    des jours dans le brouillard
    la pluie empêchant les parachutages
    et rien d'autre à manger
    que les pousses de bambou
    chef de section
    trente à quarante hommes
    sous ses ordres
    un chef
    meneur d'hommes
    au village de X.Tien
    le 23 juin 1949
    El Mamoun fils de Mohamed fils de Mekki
    se distingue
    cité à l'ordre du régiment
    décoré de la médaille coloniale
    mais c'est encore
    se cacher
    laisser venir les Vietminhs
    et toutes les nuits
    c'est encore la menace
    des pertes
    beaucoup de pertes
    le 3 octobre 1950
    il est rapatrié avec son unité
    embarqué à bord du Gerardmer
    débarqué à Oran
    le 18 novembre 1950
    de retour à N'Kheila
    réengagé pour six mois
    puis six mois
    puis six mois
    35ème Goum
    envoyé à Biskra en Algérie
    novembre 1955
    et tout de suite dans la montagne
    les fellaghas qui apparaissent
    disparaissent
    se cachent
    les goumiers ont des blessés
    pas de morts
    le 31 août 1956
    El Mamoun fils de Mohamed fils de Mekki
    quitte définitivement l'armée
    et pour la suite
    "atteste avoir vécu en autarcie"
    dans son village
    une petite maison
    quelques bêtes
    bien peu pour nourrir dix enfants
    et quand vient l'âge d'être vieux
    pas grand chose dans la poche
    le bouche à oreille dit
    qu'avec la carte de combattant
    on peut aller en France
    et toucher une sorte de pension
    alors El Mamoun fils de Mohamed fils de Mekki
    part
    à plus de quatre-vingts ans
    la valise
    le sac
    comme quand il était soldat
    Bordeaux
    Beauvais
    le RMI
    le foyer
    les sept mètres carrés de la chambre
    mais cet entêtement à toujours
    rester digne
    barbe taillée en pointe
    le costume ou la gandoura
    et tout de blanc pour prier à la mosquée
    au mois de ramadan
    de pouvoir être ici
    c'est déjà une reconnaissance
    quelque chose à quoi n'ont pas droit
    ceux qui n'ont pas été combattants
    et tant pis si ça doit être
    comme ça jusqu'à la fin de ses jours
    aller
    venir
    rentrer
    partir
    mais au moins
    que ça se sache
    que le sachent au pays les enfants de
    El Mamoun fils de Mohamed fils de Mekki
    qu'ils le sachent et le répètent à leur propres enfants
    Fatima
    Habiba
    Omar
    Mohamed
    Mustapha
    Halima
    Abdelkrim
    Ahmed
    Aïche
    Hamid
    ces enfants à la vie dure
    pour lesquels une fois encore
    il est parti.
Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"
