NACIR MOHAMED
    Mohamed fils de Majoub fils de Idame
    né et vivant au douar Sbabta
    dans la province de El Kalea-des-Straghna
    partit
    à Marakech
    en 1954
    il s'engagea
    comme avant lui le père
    Majoub fils de Idame
    comme avant lui le frère
    soldat chacun son tour
    le père
    c'est la guerre de France
    la guerre d'Allemagne
    le frère
    c'est l'Indochine
    et la mort en 1953
    tué par les "chinois"
    "si tu es courageux
    tu vas à l'armée"
    dit le père
    et le fils obéit
    à l'appel des recruteurs
    pour défendre son bien
    pour défendre les autres
    pour gagner de l'argent
    pour que la famille soit protégée
    c'est son tour
    il s'engage
    1954
    2ème Régiment d'Artillerie
    de Marrakech
    mais ne part pas en Indochine
    puisque le frère est mort
    là-bas
    part
    en Allemagne
    Bitslach
    7ème Artilleur
    part
    en Algérie
    dans la région de Batna
    des blessés
    des morts
    d'une raffale à côté de lui
    et quand en 1956
    il peut choisir
    pour l'Armée royale marocaine
    reste
    dans l'armée française
    Bourg-en-Bresse
    Lyon
    Chambéry
    et l'accident
    le camion qui fait des tonneaux dans un ravin
    le fusil qui part
    qui blesse
    hôpital de Grenoble
    quitte l'armée
    blessé
    pas possible de travailler
    pas d'argent pous se soigner
    pour nourrir la famille
    la femme
    les enfants
    six garçons et six filles
    qui sont toujours au village
    il vend une partie de son terrain
    pour se faire soigner
    ça ne suffit pas
    alors quand l'assistante sociale dit :
    "avec la carte de combattant
    on peut aller se faire soigner
    en France"
    Mohamed fils de Majoub fils de Idame
    part
    à soixante-dix ans
    la valise
    le sac
    comme quand il était soldat
    Bordeaux
    Beauvais
    le foyer
    se fait soigner
    mais peu à peu
    perd la vue
    les amis sont loin
    les camarades sont loin
    sur la photo de 1959
    le souvenir d'un camarade
    qu'il n'a jamais revu
    mais de pouvoir être ici
    c'est déjà une reconnaissance
    quelque chose à quoi n'ont pas droit
    ceux qui n'ont pas été combattants
    et tant pis si ça doit être
    comme ça jusqu'à la fin de ses jours
    aller
    venir
    rentrer
    partir
    et l'inquiétude de devenir aveugle
    et l'inquiétude encore plus grande
    de ne pas savoir
    où il sera enterré
    si quelqu'un paiera pour lui
    le retour du corps
    au pays
    dernier voyage
    au pays
    comme c'est de coutume
    mais tout cela
    il veut qu'on l'écrive
    pour que
    Abdelazziz
    Abdelmalek
    Smahan
    Milouda
    Rachid
    Sadat
    Abdelfattah
    Mahjouba
    Zahra
    Bouchra
    fils et filles de
    Mohamed fils de Majoub fils de Idame
    sachent la vie d'homme
    qu'a eu leur père
    qu'il est parti pour leur seul bien
    et le répètent à leurs enfants.
Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"
